Le Los Angeles Times annonçait dans la nuit la disparition de Cliff Robertson à l'âge de 88 ans de mort naturelle. Pour beaucoup, c'est l'Oncle Ben des Spiderman de Sam Raimi qui meurt une deuxième fois. Pourtant, Cliff Robertson fut un acteur essentiel des 60's et 70's, s'imposant d'abord dans les plus grands films d'action ou d'aventure de l'époque - et croisant la route de géants comme Raoul Walsh ou Robert Aldrich - avant d'élargir sa palette.
Après quelques années dans le journalisme, Cliff Robertson tente sa chance au cinéma et marque les films musclés mais inoubliables de ces décennies (Les Nus et les morts de Raoul Walsh et Trop tard pour les héros de Aldrich ou même Midway de Jack Smight).
Mais la carrière de Robertson ne serait rien sans les deux étapes les plus importantes de sa vie d'acteur. La première consécration arrive en 63 lorsqu'il est personnellement choisi par le président John Kennedy (contre Warren Beaty et Peter Fonda) pour incarner son propre rôle dans le film de guerre hagiographique Patrouilleur 109. Le film ne vaut pas grand chose, mais son impact public fut colossal dans la construction de la légende Kennedy. Quelques années plus tard, en 68, il décroche l'oscar pour son rôle de retardé mental dans Charly. Sans le savoir, il ouvre ainsi la voie à tous les acteurs qui remporteront l'Oscar en incarnant un handicapé. Charly (adapté du superbe bouquin de Daniel Keyes) est pourtant plus qu'un film à performance. Simple et émouvant, le film examine le concept de normalité à travers la guérison "temporaire" d'un simple d'esprit. Robertson, sobre, touchant, est stupéfiant.
Pourtant, ses deux plus grands rôles appartiennent à un autre registre : le film noir. En 1961, il joue sous la direction de Samuel Fuller dans Les Bas-fonds New-yorkais, polar sans concession qui fait souffler le vent de la vengeance. Dans ses mémoires, récemment parues aux éditions Allia, Fuller revenait sur sa collaboration avec Robertson. "Il n'avait jamais tenu de premier rôle, mais il m'a convaincu qu'il pouvait incarner Tolly. En voilant sa beauté de jeune premier, Cliff a donné une apparence lisse, dirigée de l'intérieur par une âme sombre et torturée. Cliff a poursuivi une grande carrière (...) J'ose penser que Cliff n'a jamais eu d'autre aussi envoûtant que celui de Tolly".
Fuller a raison, mais il oublie le personnage d'Obsession de De Palma, exercice de style copiant le Vertigo d'Hitchcock. Dans ce palimpseste, comme James Stewart, Cliff Robertson tombe amoureux du sosie de son amour disparu. Et De Palma comme Hitchcock, multiplie les longues filatures urbaines filmées du point de vue de héros, Florence remplaçant ici San Francisco. Le remake reposait beaucoup sur Robertson qui distillait sa fragilité et une émotion nostalgique à ce personnage un peu fade.
On mentionnera également ses rôles dans Les Trois jours du Condor de Sidney Pollack, dans Guêpier pour trois abeilles de Joseph Mankiewicz ou même le Président de Escape from L.A. de John Carpenter pour saluer la disparition d'un acteur dont la carrière vaut finalement plus qu'un simple caméo.